Depuis le 5 octobre jusqu’au dimanche 15, Yennenga se joue au théâtre La traverse, maison de quartier des Pâquis. Un voyage entre conte et temps présent, Afrique et culture française, savamment mis en scène et interprété par une équipe de talent. Une pépite qu’il est encore temps d’aller voir !
A peine le pied posé dans le théâtre que je sens se dégager un irresistible parfum d’ailleurs. Tentures aux teintes chaudes, terre ocre rappelant le sable, instruments de musique insolites entre les mains de musiciens aux costumes amples et colorés. C’est l’Afrique. Plus précisément le Burkina Faso, terre de légendes et des mythes.
Un monarque qui en impose cherche sa fille : Yennenga. Princesse insoumise et fière qui n’hésite pas à se former à l’art de la guerre et à monter à cheval, privilège traditionnellement réservé aux hommes. Mais voilà que par un glissement de terrain, cette figure emblématique et omniprésente du Burkina s’immisce jusque dans l’intimité de ce couple mixte des temps modernes qui se chamaille amoureusement.
La scène est scindée en deux : d’un côté, l’espace du conte africain et de l’autre, la vie quotidienne. Pour autant, la fluidité et la proximité entre ces deux espaces sont mises en exergue et montrent que la mobilité entre légende et modernité n’est pas une chimère.
Pas de frontière nette entre ces deux mondes mouvants mais une passerelle qui court à travers les siècles et rejoint la vie du couple des temps actuels que nous suivons dans l’évolution de sa relation. A travers leur dialogue qui fuse, ponctué de rires, de facéties, de coups de gueule, de points d’interrogation et de points de rupture, le couple se cherche et tente de s’apprivoiser, de décrypter le mode d’emploi de l’autre. Qui est l’autre ? Un inconnu un peu décalé ou un allié ? Un double ou un fantôme hanté par ses traditions d’antan ?
De manière subtile, la mise en scène et la dramaturgie mettent en évidence la confrontation du couple face à la différence. Le couple va-t-il ignorer les racines de l’autre ou au contraire les explorer ? Différence de racines mais pas seulement puisque le rapport au travail et la réussite est aussi souligné.
Au sein de ce couple la femme porte en elle une Yennenga dont les mises à jour auraient été faites. Elle va vers son destin, elle n’a pas le temps de rêver, elle fonce avec des projets plein la tête, elle « se grouille ». L’homme en est un peu dérouté, quelque chose fissure son être profond.
S’ensuit l’écueil des incompréhensions. Astucieusement, grâce au conte qui s’entrecroise, la pièce pose ainsi la question des rôles de chacun. Quel est le rôle d’une femme, d’un homme? A quoi puis-je m’attendre ? De même, la femme avoue de ne pas avoir voulu prendre à la fois l’amoureux et sa culture « J’ai tellement craqué sur toi que je t’ai voulu juste toi sans ta culture. C’est pas juste. » Entre aveux et remise en question, le couple essaie de cheminer intelligement, main dans la main.
La part du rêve occupe une place centrale et constitue également le trait d’union entre l’hier et le maintenant tout comme la présence du griot, homme de parole et de sagesse, conseiller du roi, accompagné de son fidèle musicien. Son rôle prend ici une signification fondamentale puisqu’il distille des raisonnements qui font mouche et parvient à se frayer un passage dans les songes et pensées de la femme actuelle.
Cette dernière en est déstabilisée tout d’abord mais finit par se montrer plus ouverte et curieuse envers la culture de son compagnon. Un déclic lent et tranquille se produit. On assiste à de très beaux tableaux poétiques avec ces rencontres oniriques et même un brin comiques.
En outre, les moments musicaux et de danse asseyent la culture burkinabé et contribuent à nous faire décoller pour de bon si ce n’était pas le cas avant ! Un magnifique spectacle pluridisciplinaire qui ne se contente pas de distraire mais fait bel et bien réfléchir, interpelle et pousse à la découverte. N’oublions jamais d’être curieux ! ça tombe bien, il reste encore des places mais ne tardez pas!
Autrice : Lisa Torriente
Mise en scène : Aziz Ouédraogo Lisa Torriente
Jeu : Tara Macris, Aziz Ouédraogo, Armando Bala-Bala Tsuk, Sankoum Cissokho
Scénographie : Emmanuel DuPasquier
Crédit photos : Gilbert Badaf
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