Garth Ennis est réputé pour la violence de son travail. Entre ses récents Crossed et The Boys, il verse parfois tellement dans le trash qu’il en a acquis la mauvaise réputation d’un scénariste uniquement doué à flatter les sales instincts de voyeur du lecteur. Cependant, cet Irlandais d’origine s’est imposé dans le monde de la bande-dessinée américaine avec des titres très réputés dans les années 90 : Hellblazer, Preacher, Hitman… Autant de bijoux moins bêtes que ne le laisserait penser la violence qu’ils renferment, que l’éditeur Urban Comics propose de redécouvrir à travers des rééditions complètes et soignées.
Jesse Custer est un prêtre texan. Son quotidien pastoral est soudain troublé lorsque, suite à un obscur cafouillage céleste, il se retrouve affublé du pouvoir de faire plier les gens à sa volonté. Intrigué par ce coup du sort inattendu, il se met en route pour en apprendre plus avec, à ses côtés, Tulip, son amour de jeunesse perdu de vue depuis un bail, et un sympathique Irlandais du nom de Cassidy, qui cache un mystérieux secret. Voilà le joyeux trio parti pour un road-trip sanguinolent et semé d’emmerdes.
Pardonnez la vulgarité, mais c’est une manière d’annoncer que Preacher, c’est parfois extrêmement vulgaire. Vulgaire d’une part au niveau des dialogues, même si la traduction française fait de son mieux pour édulcorer la crudité de certaines répliques (ainsi un « Go fuck yourself » se transforme en « Va te faire mettre » plus diplomatique), quitte à perdre un peu de la saveur de certains jurons ; et vulgaire d’autre part au niveau de la violence et du gore extrêmes de certaines scènes. Pour cette raison, insistons dessus, Preacher n’est vraiment pas à mettre entre toutes les mains et s’aliénera une large frange du public francophone, en dépit de ses qualités.
Car des qualités, il n’en est pas exempt. Loin de la démesure outrancière de The Boys, Preacher parvient à dresser, dès ce premier tome, l’esquisse d’une histoire d’amour qui brille d’authenticité, loin des poncifs romantiques qui envahissent toutes les œuvres de fiction. Dans la même idée, la relation qui se construit entre Cassidy et le couple sonne tout à fait juste, attirant au moyen de répliques très crédible une profonde sympathie du lecteur pour les personnages qu’il accompagne. La vulgarité de certaines répliques sert probablement en partie à donner aux dialogues cette dimension réaliste qui rend les héros de Preacher plus vivants que ceux de bien d’autres bandes dessinées, et fichtrement attachants dans la foulée.
À côté de cette tendresse dans ses personnages, qui est sans doute le grand atout de la série jusqu’à sa conclusion, Preacher sait se montrer vraiment drôle. Parfois, on pouffe en s’offusquant, parfois on pouffe avec honte, car Garth Ennis se complaît dans un humour très noir, et il arrive que les larmes ne soient pas très loin du rire lorsqu’on se scandalise du sort qu’il réserve à certains personnages : « Oh non, il a osé ! » Un rire quasiment nerveux parfois, mais un rire quand même.
Finalement, au-delà de sa violence et sa noirceur, c’est pour sa sensibilité (oui!) et son humour qu’on apprécie Preacher, et c’est ces deux qualités qui ont valu un Eisner Award, la plus prestigieuse récompense du genre outre-Atlantique, à son créateur. Un grand classique. Mais pas pour tout le monde. Ah ça non.
Preacher t.1
Livre I
Série terminée
Dessinateur : Steve Dillon
Scénariste : Garth Ennis
Éditeur : Urban Comics
Collection : Vertigo Essentiels
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