ARQ… Pour celles et ceux qui aborderaient ce récit pour la première fois, disons juste que l’œuvre est à la science-fiction ce que Andreas est à la bande dessinée, et plus largement aux codes (et à l’art) de la narration : un monde en soi, que l’on découvre par indices, par recoupements pouvant s’étaler sur plusieurs albums (ARQ est une série débutée en 1997…), par interprétations et contrevérités délivrées par différents acteurs à différents moments de l’histoire.
On est ici aux antipodes du récit linéaire, d’une progression séquentielle de l’intrigue. ARQ renferme plusieurs vastes univers que le lecteur appréhende en plusieurs points différents en fonction des événements et des agissements des personnages qui composent ces univers. Ce qui ne signifie aucunement que nous nous trouvons devant une histoire hermétique, mais bien d’une structure extrêmement originale qui fait d’Andreas un des conteurs les plus insaisissables de la bande dessinée depuis plusieurs décennies. Tout ceci pour rappeler que l’œuvre est complexe, du moins dense, mais surtout se mérite, et c’est aussi ce qui caractérise sa saveur et son extrême richesse. Et aussi qu’il serait illusoire de tenter de débuter cette aventure autrement qu’en lisant les 16 premiers volumes.
Pour les autres, à qui il est possible de dévoiler une partie du monde d’ARQ sans gâcher l’émerveillement de la découverte, revenons juste sur le mécanisme utilisé depuis la première scène du premier acte et la projection aussi subite qu’inexpliquée de cinq individus dans un monde qui n’est pas le leur, sans autre forme d’explication.
Plusieurs réalités qui se chevauchent, interagissent et dont l’une pourrait partiellement être l’explication de l’autre. Plusieurs personnes, mues chacune par une quête, qui vont être amenées à passer d’une réalité à l’autre. Ynos par désir de vengeance, Alanna pour protéger ses enfants, Julian pour reprendre en main son destin (et recréer sa propre réalité ?), Laura pour tenter de retrouver son fils (mais a-t-il jamais existé ?).
Fil conducteur multidimensionnel et multitemporel, ce volume nous en dit un peu plus long sur le fameux incident de 58, dont les éclaircissements ont débuté dans le premier diptyque (Rêves 1). Et plus précisément sur ses prolongements, en 1972, ainsi que sur ses conséquences aujourd’hui, que l’on commence à discerner.
Au cœur de ces événements, un homme, Arthur Gilpatric, et 2 projets menés à deux époques différentes : l’inversion de la causalité (1958) et la machine à rejoindre la réalité (de nos jours apparemment).
Désormais, les différentes réalités et les différents récits sont de plus en plus interpénétrables. La lecture des événements, dans des mondes qui se désagrègent, dévoile différents acteurs, gagnés par un instinct de survie de plus en plus empreint de violence.
Vous l’aurez compris, la question n’est plus vraiment de savoir quel est le monde réel et quels sont les mondes rêvés, mais davantage de distinguer quels sont ceux qui les rêvent, et qui est la projection de l’autre. L’enjeu du dernier épisode à venir va donc être de relier ces mondes et ces personnages. En attendant, on se régale. Comme à son habitude, Andreas ne révèle rien, ou du moins pas grand-chose, mais ouvre de nouvelles portes qui nous font appréhender le récit avec encore de nouveaux yeux. Plusieurs références parsèment en outre les différents univers d’ARQ : si le cristal modifiant la connaissance et l’intelligence d’un peuple préhistorique rappelle, volontairement ou non, le chef d’œuvre de Kubrick, comment ne pas songer également à un autre monument de la BD, Cyrrus (Andreas, encore), où le futur interagit sur le passé ? Ou bien à Capricorne (Andreas, toujours…) dans lequel un esprit, enfermé dans la roche depuis la nuit des temps, est accidentellement libéré à l’époque contemporaine ? Et dans lequel le docteur Aldus Vortex apparaît sous une forme extra-terrestre qui ressemble à s’y méprendre à celle du Wourm ?
Un dernier mot sur le graphisme, qui n’est pas la dernière des particularités de ARQ. Trois cycles de six albums chacun, présentant chacun une unité de format et de couleur : classique pour l’exploration du monde d’ARQ, large et en couleurs directes pour les origines, noir et blanc et en hauteur pour la rencontre des différentes réalités. Somptueux… Un noir et blanc d’une beauté qui n’est pas sans rappeler celle des Fantômes de Rork (voir l’Intégrale volume 1). Surtout qu’ici chaque dimension dispose d’un encrage qui lui est propre.
Encore une fois, pas évident d’éviter les superlatifs avec l’œuvre d’Andreas, ni les comparaisons qui font passer pour classiques des récits que l’on considérait jusque-là comme des sommets d’originalité. Nous patienterons donc jusqu’au dernier volume. En attendant, c’est beau à se décomposer…
ARQ tome 17
Rêves 2
Série en cours
Dessinateur et scénariste : Andreas
Éditeur : Delcourt
Collection : Machination
[Noël Mouillon]
http://www.editions-delcourt.fr/catalogue/bd/arq_17_reves_2
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