Nouveau rendez-vous littéraire avec Aline Guignard et Olivier Forney comme un épisode supplémentaire d’une saga arctique aussi admirable qu’excitante. Les Vaudois poursuivent leur rêve nordique avec courage en écartant les épreuvesss avec l’expérience qui est maintenant la leur. L’émerveillement et la surprise semblent toujours présents. Envie d’en savoir plus ? Voici la suite de leurs aventures, toujours au service de l’Association Zoé4life.
Ou êtes-vous actuellement ?
Aline : Nous sommes à Luleå, capitale de la Laponie suédoise, située au nord du Golf de Botnie. Nous y avons été accueillis par un couple de retraités chez qui nous avons vécu les deux premiers mois. Nous avons ensuite déménagé à Sinksundet, à quelques 6km du centre, où nous avons un arrangement avec le propriétaire d’une entreprise de location de maisons de vacances. En gros, nous assurons le ménage dans les stugas et en avons une à disposition.
L’hiver passé, on vous avait laissé sur l’île de Gotland au sud de la Suède. Vous avez donc remonté la mer baltique. Était-ce différent de ce que vous aviez vécu jusque-là en matière de navigation ?
Aline : Absolument. Et ce pour différentes raisons. Les expériences de la première année de kayak nous ont permis de développer des compétences en terme de navigation, lesquelles nous ont été bénéfiques pour la deuxième saison.
Ce mode de déplacement n’étant plus une nouveauté, l’énergie déployée pour trouver nos marques et nos routines a pu être mise ailleurs. Le fait de pouvoir trouver la plupart du temps des lieux de bivouac relativement faciles d’accès (plages de sable, grandes roches plates…) a pour ma part enlevé une forme d’appréhension liée aux accostages et reprises de la mer. Et puis nous avions du temps !
Ayant rajouté une année à notre voyage et étant de toute manière stoppés à Luleå pour l’hiver 2023, nous avions une demi année pour parcourir la côte suédoise. Le kayak a donc pris une place moins importante dans le quotidien, au profit du temps passé à terre.
Finalement, les conditions de navigation en mer Baltique sont bien différentes de celles en mer des Wadden par exemple. Les marées sont faibles, tout comme les courants le long de la côte, et n’ont donc pas impacté nos déplacements comme cela avait été le cas aux Pays-Bas et en Allemagne.
Racontez-nous quelques défis et moments marquants de ce passage.
Olivier : Le principal défi de cette saison de kayak a été la traversée est-ouest de la Baltique pour rejoindre la Finlande. Dans ce type d’entreprise, on doit tourner le dos à la terre et avancer en direction d’un horizon monochrome. On sait bien qu’il y a une île, quelque part, mais elle a tendance à rester invisible… On avance donc vers l’inconnu tout en espérant que nos calculs de navigation ne soient pas trop erronés. Puis, un trait noir apparaît dans ce grand tableau bleu. Qu’est-ce et est-il simplement réel ? Quand il s’additionne à des chants de sirènes, on se dit que la raison, elle, a décidé de retourner à terre… Puis le trait devient phare et les sirènes, des centaines de phoques jonchés sur un cailloux non loin de notre île refuge, Märket. C’est généralement à ce moment-là que le sourire nous gagne, un sourire de soulagement… c’était donc possible !
Ce qui marque le plus durant une navigation, ce sont les erreurs. Souhaitant aller de l’avant, pour une raison qui aujourd’hui nous paraît saugrenue, nous avons décidé de tirer une ligne droite entre deux doigts de terre distants de 8 kilomètres l’un de l’autre. Le temps était orageux et une perturbation était visible au sud-est. On y est tout de même allés et le gros temps nous a rattrapés après 4 kilomètres. Nous étions à une heure de navigation de la première terre et la mer ne cessait de grossir. La force du vent ne nous permettait plus de rejoindre le lieu que l’on avait sélectionné le matin même. Une zone adaptée à un accostage.
Il nous fallait donc trouver une alternative. Le pire est de devoir repenser sa navigation sous stress. On réfléchit très mal. On n’arrive qu’à des « moins mauvaises solutions ». Au fur et à mesure que l’on pagayait, la côte se dessinait et elle semblait hostile de bout en bout. Les vagues venaient y mourir et l’écume ne présumait rien de bon. Le mieux était de trouver, puis rejoindre, une île. Leurs faces qui regardent le continent sont généralement faites de galets et sont préservées des vagues. Ce jour-là, nous savons que nous n’avons pas été plus forts que la mer, mais qu’elle ne s’est simplement pas déchaînée au-delà de nos forces.
Je crois savoir que votre périple est régulièrement parsemé de rencontres qui façonnent votre voyage. Pourriez-vous en raconter une ou deux qui vous ont marquées ?
Aline : En effet, les rencontres sont l’une des raisons pour laquelle j’aime tant voyager. Souvent imprévues, elles sont l’occasion de partager, de découvrir, d’offrir une complémentarité à notre vie de vagabonds en pleine nature. Durant cette saison d’itinérance, nous avons fait la connaissance de Heidi et Christophe Gollut, un couple suisse qui a repris un B&B sur la côte suédoise. Si notre passage chez eux était prévu (Christophe étant co-propriétaire de l’une de nos entreprises-partenaires), nous n’avions pas imaginé y rester trois semaines et en repartir riches d’une solide amitié ! Nous sommes arrivés à une période où nos réalités respectives se complétaient parfaitement : nous avions du temps, ils avaient besoin d’un coup de main ; c’est aussi simple que cela. Je repense aussi à Gunnar et Maggan. Nous avions rencontré ce couple de septuagénaires une première fois dans le petit village de pêcheurs de l’île de Storjungfrun. Nous avons échangé nos contacts et de fil en aiguille, ils nous ont accueillis et ont organisé une journée de découvertes historiques et culturelles dans leur région.
Et puis il y a l’histoire de la bouteille à la mer… J’ai trouvé une bouteille sur une toute petite île déserte, dans l’un des nombreux archipels de la côte. Le message datait d’il y a 15 ans et invitait celui qui le trouvait à prendre contact avec son autrice. Nous avons fait quelques recherches pour retrouver la personne en question, avons découvert qu’elle avait 3 ans à l’époque et habitait maintenant à Hudiksvall. Nous avons donc été jusqu’à cette ville, avons toqué à une porte qui s’est ouverte sur la jeune adulte qu’est aujourd’hui Majken. Un moment très intense en émotions, pour elle tout comme pour nous et pour sa maman qui était l’instigatrice de la démarche.
C’est maintenant votre deuxième hivernage, qu’avez-vous fait depuis la mise au sec des kayaks fin septembre ?
Aline : La première tâche a été de nettoyer et réparer le matériel, ce qui nous a pris une petite semaine. Ensuite, notre temps a été partagé entre la recherche de nouveaux partenaires, la communication liée à notre projet et la collecte de fonds pour Zoé4life, ainsi que la construction des traîneaux en bois destinés initialement au transport des kayaks durant la traversée de la Laponie. Nous avons également rapidement débuté les entraînements pour développer les aptitudes physiques nécessaires pour la prochaine partie du voyage (marche d’endurance et renforcement musculaire). Puis dès la mi octobre, nous avons débuté notre travail à Luleå Beach Cabin. Nous passons aussi du temps à planifier la suite du voyage. Nous allons évoluer dans des conditions exigeantes (climat, effort, poids à tracter, etc.) et nous devons y être préparés. Par exemple, nous avons séché les fruits et légumes que nous allons consommer durant une partie de l’expédition et ce pour deux raisons : diminuer le poids des aliments et éviter qu’ils ne gèlent.
Comment vous sentez-vous physiquement et moralement ?
Aline : Je dirais que nous nous sentons ici chez nous, et nous nous y sentons bien. Mais vivre à cette latitude implique de traverser une période où l’on ne voit plus le soleil, où la luminosité quotidienne n’est que de quelques heures, et cela peut facilement impacter le moral si on ne le dorlote pas un peu.
A la perspective de la suite du voyage, je ressens à la fois réjouissance et appréhension, comme bien souvent à la veille d’un nouveau départ. L’idée de troquer les pagaies contre des chaussures et d’évoluer sur terre plutôt que sur mer pour une partie du voyage me plaît. Mais la traversée de la Laponie relève du véritable défi, physique et psychique. Ce sont avant tout les conditions météorologiques (froid) ainsi que l’effort que nous devrons fournir qui me préoccupent. Nous constatons lors de nos entraînements à quel point ce-dernier est dépendant de la qualité et de la quantité de la neige, donnes que l’on ne peut pas maîtriser. Mais nous avons encore un bon mois et demi pour nous préparer, et nous allons faire au mieux. Et l’on sait que bien souvent, de la difficulté naît la beauté…
Vous allez désormais marcher et non plus pagayer, un nouveau défi physique, comment vous y préparez-vous ?
Olivier : Effectivement, nous avons pour objectif de traverser la Laponie à pied et de rejoindre la petite ville côtière de Skibotn en Norvège. Une traversée de 580 kilomètres, réalisée en hiver, en tractant nos kayaks sur des pulkas. C’est un véritable défi pour nous puisque nous avons un peu plus de 240 kilos de matériel. Cette charge conséquente vient du fait que nous aurons trois points de ravitaillement et par conséquent le besoin d’emporter à chaque fois plus de 20 jours de vivres. De plus, le matériel pour évoluer à ces latitudes en hiver pèse son poids. Nous aurons également tout le matériel de navigation. Ici, notre projet fait briller les yeux des aînés qui nous disent : « Vous êtes comme nos ancêtres les Vikings, vous voyagez en mer tout en transportant vos bateaux sur terre pour rejoindre de nouveaux plans d’eau.» La préparation physique, elle, s’est organisée selon une certaine logique. Pour des raisons de sécurité, nous avons planifié notre traversée avec des distances quotidiennes de 10 kilomètres.
Ce n’est pas beaucoup quand tout les conditions sont favorables, mais cela peut devenir énorme si, par exemple, des précipitations nous obligent à devoir ouvrir une voie. On a donc commencé à réaliser une marche quotidienne de 10 kilomètres pour améliorer le cardio. Puis, lorsque l’on a atteint 500 kilomètres de marche, on a débuté les entraînements de force avec nos pulkas. On a commencé par y mettre environ 60 kilos de charge et progressivement ont y a ajouté une dalle de béton de 12 kilos. Ceci pour atteindre 100 et 140 kilos environ. Mais le vrai défi se passera dans nos têtes…
Un autre défi de taille, dormir dehors en février à si haute latitude. Comment appréhendez-vous cela ?
Olivier : Évoluer dans le froid est une chose. Évoluer dans le froid en transpirant en est une autre. De ce côté-là, Aline et moi-même ne sommes pas logés à la même enseigne. Après 10 kilomètres de tractage, ma première couche de vêtement est tel que du linge qui sort d’une machine à laver, la senteur jasmin en moins. Il faut donc encore trouver de nouvelles stratégies pour rester au sec, surtout lors des périodes de repos. Cela impliquera, peut-être, de devoir remettre des habits humides pour la marche du lendemain. Des habits qui auront probablement gelé durant la nuit.
Pour ne pas se mettre en danger inutilement, et puisque nous passerons toutes nos nuits en bivouac, nous avons opté pour renforcer le coefficient thermique de notre matériel de couchage. En plus d’un sac de couchage grands froids, nous avons acquis des sur-sacs de couchage utilisé par l’armée norvégienne. En partant le 12 février de Luleå, il ne serait pas étonnant que l’on vive des nuits à -30°C. On dormira probablement très mal, mais on devrait, durant 80 jours d’itinérance, découvrir les beautés d’une Laponie sauvage. Et c’est peut-être cela le plus important ?
Vous allez franchir le cercle polaire, une étape un symbole qui vous inspire…
Olivier : Le jeu de mot est un peu facile, mais le passage du cercle polaire me laisse de glace. J’ai perdu ma « bucket list » durant mon premier voyage et je n’en suis que plus heureux. Je me réjouis par contre du moment où nous verrons notre premier fjord en Norvège. Il symbolisera notre réussite. Les sentiments qui se dégagent dans de tels moments sont d’une beauté incommensurable qu’il m’est, encore aujourd’hui, difficile à décrire avec des mots.
Aline : Je pense que les deux moments-clé de cette année à venir seront d’atteindre la côte norvégienne et de poser pied au Cap Nord, deux moments qui seront l’aboutissement de ce qui aujourd’hui m’apparaît comme être des challenge de taille.
Ensuite viendra la dernière « ligne droite », quel sentiment vous anime ?
Olivier : L’excitation, mais également la crainte. La mer de Norvège est une mer compliquée à naviguer. Cette difficulté va sans nul doute sublimer notre voyage, mais là-bas existe une dure réalité : pas tous les kayakistes ne reviennent au port. Il faudra donc trouver sa place entre défi et modestie et comme toujours, prendre le temps. Mais nous avons beaucoup appris de nos erreurs passées et c’est riches d’une jolie expérience pratique que nous découvrirons l’une des plus belles régions d’Europe. Mais avant cela, vivons les nuances de blancs lapons, la beauté du vide et du silence…
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Crédit photo : Aline Guignard et Olivier Forney
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