Depuis le 8 mars et jusqu’au 3 avril, Christian Gregori et Maria Mettral nous ouvrent grand les portes de leur intérieur où ils mènent à bout de souffle une corrida douce amère ponctuée d’ironie, de folie et d’humour acide. Une pièce virevoltante, portée par l’écriture irréverencieuse de Dario Fo et Franca Rame, pourfendeurs de l’anticonformisme et du moralisme bourgeois. Un régal de finesse et justesse servi par un duo de haute voltige !
« Fais pas de conneries, Antonia ! Sors ! »
Une fois de plus, une fois de trop, Antonia est enfermée dans la salle de bains, occupée à ingérer un savant cocktail de barbituriques aux noms barbares tandis que son époux cogne à la porte en la suppliant.
La raison de ses crises à répétition ? Son mari veut un couple libre ! Selon lui, il importe de briser le carcan du couple traditionnel et de rompre une fois pour toute avec l’hypocrisie qui en découle. Sa femme, quant à elle, ne peut s’y résoudre, pas question ! Alors les arguments déferlent : « d’autres s’y sont cassé les dents » « Justement, il faut le réinventer ! » Mais la décision est prise et le mari impose ses choix.
On a déjà entendu cet air-là… oui et non !
D’une part, la plume acidulée, mordante et engagée de Dario Fo et Franca Rame apporte un éclairage différent sur le couple. Il ne s’agit plus de tricher, de cacher la maîtresse sous le lit ou d’improviser des explications farfelues mais d’établir un contrat, de faire accepter un nouveau mode de vie au sein du couple. Connus pour bousculer les conventions sociales, politiques et cléricales dans l’Italie de l’après guerre, Dario Fo et Franca Rame signent une oeuvre dont les échos restent intemporels.
D’autre part, si la pièce reprend le modèle classique d’une comédie de boulevard, elle donne plus particulièrement la part belle au personnage féminin qui devient figure de proue de l’intrigue. On suit ses menaces au suicide, le désarroi croissant d’être délaissée, ses coups de gueule, ses incertitudes puis sa remise en question. Cependant, malgré la dureté de la situation et sa peine, Antonia n’apparait pas comme une victime et se refuse à sombrer à la manière d’une Bridget Jones à l’italienne la classe en plus, l’alcool en moins.
On le remarque dans la conduite de la pièce. C’est elle qui embarque le public dans le récit de son mariage délabré, impose des temps morts,des règles, insiste sur certains détails, interprète avec brio différents intervenants à l’instar de son fils. Son personnage, souvent à fleur de peau, vacille entre ironie désabusée et abattement en passant par des phases de joie hystériques. Tantôt déjantée, tantôt fragile, Maria Mettral nous livre ici une superbe performance, tout en nuances avec un sens du rythme à couper le souffle.
Et pour cause, cette comédie bondissante exige un rythme subtilement dosé que la mise en scène d’Anthony Mettler honore très largement. Les portes claquent, les répliques fusent et la tension, sournoise, monte mais il existe aussi des instants de césure dans lesquels la musique est très présente avec notamment cette parodie des Feux de L’amour ou encore lorsque Antonia execute des mouvements de gymnastique.
On aime aussi les interventions du fils adolescent conseillant sa mère. Ces parenthèses donnent encore plus de relief et de drôlerie à l’histoire. Le mari, quant à lui, n’est pas en reste. Nerveux, moins expansif mais imposant par sa présence remarquable, Christian Gregori incarne parfaitement le rôle du mari dominateur et sûr de lui mais pas seulement. Modulant ses émotions, il explore d’autres facettes de son personnage au fil des évènements et bon sang qu’ils sont nombreux !
Un savoureux moment de théâtre qui ne manque pas de piquant et que l’on gardera longtemps en tête !
Texte : Dario Fo et Franca Rame
Mise en scène : Anthony Mettler
Jeu : Christian Gregori et Maria Mettral
Scénograhie : Christian Gregori
Lumières et régie : Florian Cuellar
Coproduction : Cie Théâtre du Marais et Le Crève-coeur
Crédit photos : Loris von Siebenthal
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