Amant effronté, adepte de murges XXL entre copains, provocateur en roue libre dans L’heure des naufrages, Pier Paolo Corciulo change de ton et de décor avec un deuxième roman Le cri des mouettes, tout en délicatesse, entre lac et mer, Neûchatel et l’Italie. Un texte limpide et simple où la poésie et la prose ne manquent pas de toucher le coeur.
Comment s’est posée la question de la mémoire et du deuil ?
Ce sont deux sujets que j’avais à peine effleurés dans le roman précédent (L’heure des naufrages) et que j’ai voulu approfondir dans Le cri des mouettes. Pour moi, c’était presque une suite logique même si le ton de ces deux romans est complètement différent.
Dans L’heure des naufrages, il est question d’errance et c’est aussi le cas pour Le cri des mouettes. Diriez-vous que vous avez un penchant pour raconter l’errance, la quête ?
En effet, la quête d’identité est un sujet qui me passionne depuis longtemps et qui sera encore présent dans mon prochain roman. Mettre les personnages dans des situations tendues, face à leurs envies, choix et limites, pour les laisser évoluer (ou pas) est un point de départ que je trouve intéressant. La quête de soi passe souvent par une période d’errance précédée d’un point de rupture, c’est dans ce contexte que se trouve le narrateur du Cri des mouettes.
La poésie occupe une place majeure dans cette œuvre. Quel lien entretenez-vous avec elle ?
L’idée principale du Cri des mouettes est de montrer qu’un livre peut sauver la vie d’un individu ou alors peut l’aider à mieux comprendre qui il est. Ce n’est pas très original mais quoi de mieux que la poésie pour entrer dans ce processus ! Les premiers textes que j’ai écrits dans ma jeunesse ressemblaient à de la poésie. Un poème, c’est court, ça peut être lu assez rapidement et peut vous laisser songeur un long moment. Quand on est dans un train, entre deux entretiens de travail ou dans une file d’attente, la poésie se révèle une bonne alliée. Et puis, disons-le, un mec sur une terrasse qui lit un recueil de poèmes a plus de gueule qu’un type qui lit le journal ou qui a les yeux rivés sur son téléphone. Je sens que je vais heurter la sensibilité de certains (rires).
Le lac, la mer, l’eau… symbole ou coïncidence ?
Le cri des mouettes commence sur les rives du lac de Neuchâtel et puis dans la deuxième partie le narrateur se retrouve au bord de la mer Ionienne. Les eaux du lac peuvent paraître plus calmes, moins hostiles que le courant marin et pourtant la première est apparentée à un événement tragique et la seconde à la paix retrouvée. Il y a peut-être l’idée de mouvement perpétuel, l’idée d’aller se frotter dans un milieu étranger pour voir ce qu’on vaut, l’idée d’oser et je pense que cette transition entre lac et mer était appropriée pour mon personnage principal perdu au milieu de ses interrogations.
Pour « dégeler sa relation » avec son père, Adrien lui adresse une lettre frontale. Agiriez-vous d’une manière similaire dans la vie ?
Je ne pense pas que j’écrirais une lettre frontale (ni un mail, ni un message) pour dégeler ou améliorer une relation. Je préfère voir la personne concernée et parler clairement l’un en face de l’autre afin d’éviter les malentendus que peut créer l’écrit.
Original d’avoir choisi le nom d’une île sicilienne pour le vieux poète…
Bien vu ! Vous êtes la première à en faire allusion. Souvent, quand je cherche le nom d’un personnage, je regarde les cartes de géographie. Pour le vieux Lipari, rien de mieux qu’une île (isola en italien) pour illustrer le fait qu’il s’est isolé, coupé du reste du monde.
Qui se cache sous les traits de Lipari ? Bukowski ?
J’imagine plutôt Hemingway sous les traits de Lipari et quelques caractéristiques de Bukowski qui n’est jamais très loin de mes pensées.
Quelles difficultés avez-vous eu à surmonter pour la rédaction de ce texte ?
Parler du deuil sur un ton mielleux était ma crainte. Puis le travail avec l’éditeur m’a beaucoup aidé à enlever des passages superflus et à rendre le texte direct, sans trop de fioritures.
Vous censurez-vous lorsque vous écrivez ou vous sentez-vous parfaitement libre ?
Je ne brille pas par mon courage. Le premier jet est souvent plus libre que le manuscrit que j’envoie aux maisons d’éditions, sauf pour L’heure des naufrages où j’ai voulu mettre le paquet et jouer la carte de la provoc’. Aujourd’hui, je souris quand certaines connaissances sont choquées par certains de mes écrits, au début c’était un peu compliqué à gérer pour moi. Aujourd’hui, ce qu’on pense de moi m’intéresse peu, ce qu’on pense de mes livres m’intéresse beaucoup parce que la littérature est ma passion et que je ne suis pas passionné par ma personne. Et comme j’aime écrire, j’essaie de prendre soin de la phase d’écriture. Je ne pense pas qu’il faille être tout le temps dans l’excès, le trash ou le gore. Ça dépend de l’histoire qu’on veut raconter, du point de vue qu’on lui donne. Parfois c’est légitime, parfois c’est totalement inutile.
Et à part, l’écriture?
Un temps, je jouais de la guitare et composais des chansons mais je ne peux pas tout faire et comme Bruce Springsteen, c’est déjà pris, j’ai mis la musique entre parenthèse. L’écriture occupe une bonne partie de mon temps libre. Le reste du temps, la vie de Monsieur tout le monde en somme, avec du soleil, des nuages, des matins où je me dis que je partirais volontiers à l’autre bout du monde et des soirs où je me sens bien là où je suis.
Vos coups de cœur du moment ? (musique, livres…)
Côté littérature, la poésie de Fernando Pessoa. Côté musique, le dernier album de Francis Cabrel.
Quels sont vos prochains projets (dédicaces, lectures, nouvelles publications…)?
Dans quelques jours, sortira mon recueil de poèmes Entre-peaux dans lequel j’ai rassemblé des textes écrits entre 2015 et 2020. Puis en 2023, mon prochain roman.
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