Sous couvert de journal intime, madame Charrin parle à mon avis de l’existence de beaucoup de personnes. Certes nous n’avons pas tous comme elle travaillé pour la presse de droite en étant de gauche mais je suis sûr que beaucoup d’entre nous ont fait/font encore semblant de croire qu’ils étaient conscients de l’écart entre ce qu’ils espéraient, ce dont ils rêvaient et ce que la vie, le travail, les mots leur imposaient. S’accommodant avec leur conscience pour comme l’on dit : ne pas faire de vague. Comme elle a reçu une éducation qui la situe à gauche et qu’elle travaille pour un magazine économique de droite on imagine le nombre de couleuvres qu’elle a dû avaler, le nombre de compromis avec elle-même qu’elle a dû passer – le passage concernant Pascal Lamy est impressionnant et la fluidité de l’écriture me semble ajouter encore au ‘désespoir’ de l’auteure.
Intéressant témoignage en opposition avec les biographies de héros ou d’héroïnes du travail qui restent humains et font ce que l’on attend d’eux (pompiers, médecins, soignants etc.) en se surpassant. Intéressant témoignage qui dit indirectement : ‘vous n’êtes pas tout seul’. Car c’est là bien sûr que se trouve le fond du problème. Chacun se croit seul à éprouver quelque chose et n’ose pas le dire aux autres… Ainsi comme chantait Jacques Brel : « qui n’avance pas recule. ».
L’auteure a changé de vie mais n’a rien perdu de sa lucidité et je vous recommande de lire attentivement les dernières pages du livre où elle parle de ses enfants et je vous laisse méditer son opinion/son constat : « Nos enfants prolongent nos habitudes, amplifient nos dérives. Nous n’avons cessé de prendre par rapport à la vie que nous menions une distance ironique et rêveuse. Eux habitent cette distance, ils s’y sont installés très confortablement, apparemment pour toujours. ».
Et je vous offre en supplément la citation que j’ai trouvée au début : « À quoi ressemblent les lettres quand on n’a pas appris à lire ? ».
Bonne lecture.
Journal intime du capitalisme
Auteure : Ève Charrin
Editeur : Maurice Nadeau
Collection : A vif
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