Forts d’une réputation qui a dépassé les frontières de leur Brésil natal, les jumeaux Fábio Moon et Gabriel Bá se sont ouverts au marché mondial de la bande-dessinée via leur travail pour les éditeurs américains Image (Casanova) et Vertigo (Daytripper), les deux œuvres étant disponibles en français dans le catalogue de la filière comics de Dargaud, Urban. La publication de L’Aliéniste (O Alienista dans la version originale, en portugais) révèle sans doute un faible de l’éditeur pour le travail de ce duo brésilien. Mais ce court récit antérieur à leur carrière américaine, qu’on hésiterait à qualifier « d’œuvre de jeunesse », est-il capable de bouleverser autant que Daytripper a su le faire ?
Au Brésil, dans le village reculé d’Itaguaï, l’éminent psychiatre Simon Bacamarte obtient des autorités la permission de bâtir un asile pour traiter, protéger voire guérir les malades mentaux de la région. Seulement au fur et à mesure que le scientifique s’enfonce dans ses recherches, les critères pour être établi de force dans son mystérieux établissement ne cessent de s’élargir. Rapidement, c’est tout le tranquille équilibre du village qui est mis en péril : et si le docteur n’était pas lui-même fou, malgré le stoïcisme rationnel qu’il ne cesse d’afficher en public ?
Réflexion évidente sur la subjectivité de la folie, L’Aliéniste souffre du regard très froid que jette le narrateur sur les événements qui vont secouer cette paisible bourgade brésilienne. En effet, le lecteur se sentira malgré lui spectateur peu concerné par le drame qui se joue devant ses yeux, peinant à se prendre d’affection pour des personnages tous similairement creux et impénétrables, qui disparaissent d’ailleurs bien vite, à tour de rôle, au gré des caprices (rationnels!) du Docteur Bacamarte. D’autre part, les questions soulevées – est-ce que tout le monde est fou ? Est-ce que la folie est une question de point de vue ? – peinent à s’élever au-dessus du niveau d’un débat de fin de soirée au Café du Commerce. Reste le portrait du village lui-même, dont les structures politiques sont esquissées entre imaginaire et réalité, qui ne va pas sans rappeler, à travers ses airs de microcosme coupé du reste du monde, l’œuvre d’un autre écrivain sud-américain : Gabriel Garciá Marquez, le souffle biblique en moins.
On retiendra, comme toujours, les dessins absolument renversants que le duo concocte ; les frères parviennent avec aisance à donner une identité visuelle très forte à chacun de leurs personnages, une tâche que la colorisation pâle et timide rendait peut-être plus ardue encore. Cette réussite visuelle est bienvenue : elle porte quasiment à elle-seule toute l’émotion du récit qui, sans être mauvais, laisse cruellement sur sa faim par le traitement de surface des thèmes qu’il aborde et sa brièveté.
L’Aliéniste
One-shot
Dessinateurs : Fábio Moon – Gabriel Bá
Scénaristes : Fábio Moon – Gabriel Bá (d’après l’œuvre de Joaquim Maria Machado de Assis)
Éditeur : Urban Comics
Collection : Urban Indies
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